Article de Cyrus Pâques paru dans le mensuel "Imagine magazine", octobre 2001.

Chacune à son tour

Au-delà du symbole de la tour Martini, un ensemble d’édifices bruxellois est appelé à faire l’objet d’une rénovation ou d’une destruction/reconstruction dans les années à venir. Comme c’est déjà le cas avec les tours Lotto ou du Cadastre, on peut donc s’attendre à un questionnement accru sur leur fonction dans la ville, en espérant pour Bruxelles un débat qui prenne en compte non seulement des composantes économiques, mais aussi urbanistiques, sociales ou esthétiques. Du côté d’ Inter-Environnement, on place l’accent sur l’affectation des édifices et sur les problèmes de mobilité. " Les projets actuels font la part belle aux bureaux et aux parkings ", résume Anne-Françoise Rihoux. " Par ailleurs, réduire la hauteur des tours pose problème si, pour conserver ou accroître la superficie de l’édifice, celui-ci doit empiéter sur l’espace public. " Inter-Environnement demande un débat ouvert sur l’avenir des tours bruxelloises, et pas uniquement de celles qui sont consacrées à des bureaux. " Dans les années à venir, le sort des tours de logements sociaux situées dans le Pentagone va se poser avec acuité, d’autant qu’elles souffrent d’un problème d’amiante. Le risque sera de voir les logements sociaux remplacés par du bureau et ‘poussés’ en dehors de la ville. Les autorités publiques devront donc adopter une attitude nettement plus ferme. " Mis en cause, dans le dossier Martini, par les défenseurs du patrimoine des années soixante et septante, l’Atelier de recherche et d’action urbaine (Arau) avait cependant introduit le recours devant le Conseil d’Etat amenant la construction de logements compensatoires. Passéiste, l’Arau ? " Nous prônons en tous cas la ville traditionnelle, dans un contexte où les promoteurs et les pouvoirs publics n’ont eu de cesse de vider la ville de ses habitants ", réplique sa directrice, Isabelle Pothier. " Nous sommes en effet contre les tours qui ne respectent pas les formes urbaines d’un centre historique comme le Pentagone ".


La tour Martini sort de scène

Le départ du Théâtre national de Belgique de la tour Rogier, à Bruxelles, a sonné le glas de ce symbole des Golden Sixties. Avant d'être victime de la spéculation immobilière des années 90, cet édifice introduisit la modernité en Belgique en alliant logements, commerces, bureaux et théâtre. Sa mise à mort est une blague belge qui ne fait rire personne, estiment de nombreux architectes et urbanistes.

Deux combis bleus de la police fédérale, manifestement vides, stationnent devant la bouche peu engageante du métro bruxellois. Un Africain d'âge moyen rêvasse discrètement sur un banc isolé - peut-être dans l'attente d'un rendez-vous au commissariat général aux réfugiés, situé à quelques rues. Le vent incessant semble rappeler aux rares passants de ne pas s'attarder sur la place, sans cependant perturber quelques enfants maghrébins dont les jeux, malgré la circulation assourdissante du boulevard du Botanique, représentent en cet après-midi l'unique trace de vie visible sur la place Rogier, en bordure du centre de Bruxelles.
A quoi bon se balader ici, de toutes manières. A peine y passe-t-on encore pour rejoindre la gare du Nord par la rue du Progrès, sur la gauche, ou pour atteindre les quartiers populaires de Schaerbeek et de Saint-Josse, par la droite, via la rue de Brabant qui mène aussi aux vitrines de la prostitution. Même le Théâtre national de Belgique vient de quitter les lieux, se séparant de l'arrière de la tour Rogier dont l'institution culturelle était peu à peu devenue le dernier occupant. Il est vrai que cet édifice, laissé à l'état d'abandon depuis près d'une décennie par les promoteurs immobiliers, ne paie apparemment pas de mine. Regardez-le bien, pourtant. Et vite : sa destruction intérieure a débuté, l'ensemble de l'édifice passera bientôt à la pelleteuse. Faites-en le tour. Remarquez le rapport de ses volumes, l'ouverture vers la place, le grand plan courbe des balcons des appartements ou encore, au sommet des trente étages, la baie vitrée de l'ancien bar Martini. Puis, rappelez-vous : il n'y a pas si longtemps fourmillaient ici des petits commerces, des espaces de bureaux, des appartements, des salles de fête, des restaurants.
Et enfin, effacez tout cela de votre mémoire. Un nouvel édifice surgira du sol d'ici quelques années. Légèrement plus bas, nettement plus volumineux et presque exclusivement dédié au bureau. Au grand dam d'une multitude d'associations, urbanistes et architectes qui fustigent l'inexistence de tout débat sur l'évolution de la ville. "Les conditions posées au nouveau projet constituent un vrai drame", tranche l'architecte Maurizio Cohen. "D'une part, il n'y aura plus ni logement, ni théâtre, ni galerie commerçante. D'autre part, la taille réduite de l'édifice lui interdira de jouer son rôle naturel de repère urbain. On doit s'attendre à l'apparition d'une espèce de mastodonte, en lieu et place d'un joyau historique de l'urbanisme".

Lorsque Bruxelles " brusselait "

L'exposition universelle de 1958 s'achève en baignant la Belgique dans l'optimisme d'un monde prometteur. Les années cinquante ont célébré, comme le soulignera plus tard Marcel Smets, à l'occasion d'une exposition rétrospective au Palais des Beaux-Arts, "la naissance de la télévision, l'avènement de l'automobile et du confort ménager, le début des grandes démolitions et de la modernisation des villes et des campagnes" (1). Le choc pétrolier n'a pas encore eu lieu, le vocable "bruxellisation" n'est pas entré dans les dictionnaires, mais la liaison ferroviaire Nord-Midi est achevée et la gare du Nord quitte la place Rogier.
On y bâtit la toute première tour du pays. Trente étages, 109 mètres de hauteur, près de 56.000 mètres carrés de superficie : le nouvel édifice marque l'entrée du modernisme en Belgique. Nous sommes en 1961. Conçue comme une cité dans la ville, la tour Rogier allie les principales fonctions urbaines : appartements, bureaux, galerie commerçante, centre d'exposition, espace culturel avec le TNB et ses deux grandes salles, bar huppé dans les trois derniers étages formant le Martini Club.
Environ 5.000 personnes y résident ou y travaillent quotidiennement. Bruno De Meulder, historien de l'architecture à Katholieke Universiteit van Leuven (KUL), qualifiera l'édifice de " rendez-vous avec le monde ". Iwan Strauven, son confrère de l'université de Gand, précise : " Si la tour présente aujourd'hui l'aspect peu reluisant d’un chancre vertical suite à des années de spéculations immobilières et à l'expulsion de ses habitants, elle constitue un véritable manifeste urbain. Dans le fond, cette recherche de mixité des fonctions sur une emprise au sol restreinte est exemplaire de ce que l'architecture peut apporter au développement durable. "
Tout au long des Golden Sixties, l'édifice fait la fierté des Bruxellois qui le surnomment la tour Martini – même lorsque l'enseigne lumineuse de l'apéritif italien, qui domine le bas de la ville à la façon du Coca-Cola de Times Square, laissera la place à l'étoile tournante de Mercedes.

Rendez-vous au septième ciel

Desservie par un ascenseur privatif, la baie vitrée du Martini Club occupe les trois derniers étages. C'est à l'époque la plus haute terrasse de Bruxelles. Et durant des années, le passage obligé des stars du show-biz, de la variété, du sport et du cinéma. Le tapis rouge se déroule sous les pieds de Brassens, Brel, Aznavour, Gainsbourg, Bécaud, Lama, Barabara, Halliday, Trintignant ou Claude François, à l'occasion de la promotion d'un disque ou d'un concert. Marlène Dietrich y croise les Rolling Stones, Sammy Davies Jr, Geraldine Chaplin et même Haile Selassie – le roi des rois éthiopien participant ainsi à la promotion d'une marque italienne.
La radio publique émet des émissions en direct de la terrasse. " J'y ai fait mes toutes premières interviews de vedettes ", se souvient l'homme de radio et de télévision Jacques Mercier. " En regardant Bruxelles par la baie vitrée, les jeunes journalistes que nous étions avions le sentiment qu'une nouvelle ère s'ouvrait à eux, ce qui s'est d'ailleurs confirmé en mai 68. C'était un peu simpliste... Nous étions notamment impressionnés par le nombre d'étages. Cette tour correspond sans doute à une sorte de période d'adolescence. Personnellement, elle est intimement liée à ma découverte de la ville, à une époque où le modernisme se traduisait dans la musique mais aussi dans l'architecture. "
Des perroquets virevoltent dans de grandes volières, des serveurs en complet présentent les coupes sur des plateaux au gratin du monde politique, économique et culturel. Comme à Turin, Barcelone et Paris, Martini finance cet espace luxueux pour assurer sa promotion. Son photographe attitré envoie aux journaux les clichés immortalisant les visites de chacune des vedettes. Et pour accéder à ce repère des stars, les journalistes doivent par trois fois montrer patte blanche. Une première sélection est opérée dès le rez-de-chaussée, avant d'accéder à l'ascenseur, une deuxième à l'entrée du bar, et un ultime s’effectue à l’entrée de la salle arrière où se déroulent les conférences de presse. " Je me souviendrai toute ma vie de l'huissier de l'ascenseur, dont la simple expression du visage nous annonçait que nous arrivions trop tard pour rencontrer la vedette ", se remémore Jacques Mercier. " Dans ces cas-là, nous montions tout de même, histoire de digérer le coup en buvant quelques verres. "

Effervescence de la spéculation

Un bar ambitieux, et coûteux : Martini met la clef sous le paillasson en 1978. Mais la tour n'est pas encore passée de mode. On y trouve les bureaux du Parti libéral (Charles Rogier ayant d'ailleurs été l'une des grandes figures du libéralisme), British Airways occupe deux étages, les premières radios privées chérissent sa hauteur, des personnalités comme le baron Lippens y disposent de leur pied-à-terre bruxellois. Les appartements sont majoritairement occupés par une classe moyenne, " notamment par des familles qui viennent de fuir les événements d'Afrique centrale ", précise Jean Demannez, actuel bourgmestre (socialiste) de Saint-Josse.
Pour sa part, Rogier Faniel emménage dès l'ouverture de l'édifice dans un appartement du dix-neuvième étage. Il a la quarantaine, loue et vend des voitures d'occasion depuis qu'il a remis " Le Festival ", un bar où une vingtaine de femmes tentaient de se faire offrir du faux whisky par les militaires américains. " Je vivais en plein centre-ville. Le salon offrait une vue magnifique sur le Botanique, les chambres donnaient sur la Basilique. Mes visiteurs commençaient toujours par regarder par la fenêtre. La tour regroupait des restaurants et des commerces de toutes sortes, de même qu'un coiffeur pour hommes et un autre pour dames... On aurait pu y vivre sans sortir. "
Les différents espaces changent régulièrement et classiquement de propriétaires, mais des logements sont également transformés en bureaux. C'est en 1989 que la spéculation entre en effervescence à Bruxelles. Le promoteur belge Ely Baron acquiert la majorité des espaces, remplace la société de gérance, vide peu à peu la tour de ses occupants. Après trois années, seuls quelques résistants refusent encore de vendre leur bien. " Pour la plupart des personnes âgées, comme moi, qui n'imaginaient pas déménager ", explique Roger Faniel, qui finit toutefois par se laisser tenter : " La famille Baron m'a proposé un ‘contrat de bail à vie’, qui me permettait de continuer à résider dans la tour sans devoir participer financièrement à la rénovation attendue. A 74 ans, je préférais ne pas y consacrer mes dernières économies. "

Un " joli coup "

Désormais propriétaire de l'essentiel du Martini, à l'exception de l'espace accueillant le TNB, le promoteur parvient à vendre l'édifice à une mutualité finlandaise, qui rencontre rapidement des soucis financiers et doit appeler la banque d'Etat de Finlande à la rescousse. " Baron les avait arnaqués dans les grandes largeurs ", dit Faniel. " Un joli coup ", confirme plus sobrement Jean Demannez. Pour rentabiliser l'achat, on ne parle plus de rénover le bâtiment, mais de le détruire et de construire un nouvel édifice très largement dédié au bureau. Plusieurs problèmes se posent cependant au nouveau promoteur.
Le premier concerne la présence de quelques Mohicans désespérément accrochés à leurs appartements. Il sera résolu en 1995, après trois années rocambolesques, lorsque Roger Faniel sera expulsé manu militari par la gendarmerie et la police. " Pour nous pousser à quitter les lieux, on laissait les portes de l'immeuble ouvertes la nuit. C'était devenu un squat, nous trouvions des seringues et du papier aluminium jusque dans les escaliers du vingtième étage. Six des quinze derniers appartements habités ont été cambriolés. Je dormais avec un riotgun. Presque tout le monde est parti. " Même s'il obtient par la suite gain de cause en justice contre son expulsion, Rogier Faniel n'intégrera plus jamais la tour. Agé de 82 ans, il réside aujourd'hui dans un appartement plus classique, sur la commune de Jette.
En 1998, les Finlandais esquissent un projet de rénovation qui maintient le théâtre dans un immeuble qui passerait à 70.000 m_ de bureaux. Pour redevenir " le repère urbain du centre de Bruxelles ", qu'elle a cessé d'être avec l'érection du Sheraton sur la place Rogier, la tour grimperait à 134 mètres de haut. Un permis autorisant la démolition-reconstruction de l'immeuble sur cette base est délivré en septembre 1998. Alors que la disparition de la tour se précise, des artistes lui rendent sporadiquement hommage. La photographe Marie-Françoise Plissier y consacre un ouvrage, le KunstenFESTIVALdesArts organise une exposition à son sujet en 1996, Michel Lorand tapisse la face avant d'une pellicule verte et Serge Verheylewegen affiche non sans mal des portraits de passants. Leur leitmotiv: apprécier la beauté de la tour.

Le Théâtre national en scène

Une autre épine aux pieds des promoteurs concerne la présence du TNB, dont l'espace fait l'objet d'un bail emphytéotique entre la commune de Saint-Josse (propriétaire du lieu) et la Communauté française, qui peut en jouir à condition d'y maintenir le théâtre. Le sort du TNB, à l'étroit dans un quartier où la prostitution a longtemps investi les chancres du projet Manhattan, ainsi que la délicate problématique des parkings (une étude d'incidence a démontré l'inutilité d'en doter tout nouvel édifice dans ce quartier), retardent d'autant les prises de décision politiques et les différents projets des promoteurs.
Des partenaires belges rejoignent dès lors un paquebot qui prend doucement des airs de Titanic : Artesia Banking Corporation (fusion des banques Bacob et Artesia), associé aux assurances AP et Immobel deviennent copropriétaires aux côtés des Finlandais. Le nouveau consortium, Brussels Business Center (BBC), présente deux nouveaux projets qui, bien que suscitant les foudres d'associations diverses (opposées à la disparition de la mixité des fonctions, à la construction de nouveaux bureaux et de parkings), prennent de la hauteur. On parle cette fois d'élever la tour à 154 mètres, pour une superficie de 107.000 mètres carrés.
Par ailleurs, après le décès de Guy Cudell, bourgmestre de Saint-Josse durant quatre décennies, les nouvelles autorités communales se montrent moins soucieuses de garder le TNB sur leur territoire. " Nous avons posé comme condition à la Communauté française, pour qu'elle bénéficie de la transaction avec les promoteurs, de maintenir le TNB dans le centre-ville ", dit Jean Demannez. Ce qui explique l'objet de l'accord intervenu le 31 mai dernier, entre la Communauté française et BBC : ce dernier s’est engagé à construire, sur le boulevard Jacqmain, un espace entièrement neuf qui permettra d'accueillir le TNB d'ici quelques années. Et en attendant, la vénérable institution occupera tant bien que mal le bâtiment du Pathé-Palace/kladaradatsch dont la nouvelle affectation mériterait à elle seule un autre article. Le coût de l'opération est de 1,09 milliards, dont 530 millions à charge de la Communauté française. Le solde est versé par le promoteur... grâce aux bénéfices tirés de l'augmentation de l'espace alloué aux bureaux sur l'emplacement de la tour Martini.

Le " syndrome du balcon " de François-Xavier

Si cet accord réserve un sort relativement satisfaisant au TNB, la décision intervenue quelques semaines auparavant via la commission de concertation sur le devenir de la tour fait hérisser les cheveux des professionnels de l'urbanisme et de l'architecture. Parce que le nouvel édifice perd sa mixité de fonctions originelle, d'abord : malgré quelques garanties (celle d’une animation commerciale sur le pourtour par exemple), le nouveau bâtiment sera essentiellement destiné à des bureaux. A peine le promoteur s'est-il engagé, après passage devant le Conseil d'Etat, à construire 85 logements à proximité de la place. Et ensuite, parce que l'idée de conserver un repère urbain a été écartée : si le nouvel ensemble gonfle de volume (il passe à 88.000 m_), sa hauteur reste à peu près identique. Loin en dessous des 154 mètres imaginés, donc.
En cause : un surréaliste " syndrome du balcon " selon lequel François-Xavier de Donnea, alors bourgmestre libéral de la ville de Bruxelles, s'opposa aux tours bruxelloises susceptibles de " gâcher la vue " au départ du balcon de l'hôtel de ville. " FX ", libéralement apparenté au secrétaire d'Etat à l'aménagement du territoire (Willem Draps), est passé à la présidence de la Région bruxelloise et sa vision des choses a scellé l'avenir de la tour Rogier. Un point de vue sur la beauté et l'urbanisme, précisément, qui amènerait en d'autres lieux à rayer de la carte la tour Eiffel, l'Empire State Building, voire la tour de Pise. " Totalement délirant! " tranche Iwan Strauven: " Il faudrait au contraire rehausser le bâtiment pour le mettre en proportion avec le Sheraton, de manière à marquer un point de perspective pour la rue Neuve et le boulevard Anspach. " Maurizio Cohen ajoute: " Cette histoire de balcon est une pure blague belge. C'est à mourir de rire sans être drôle. Réduire le débat sur la ville à des considérations de ce genre est lamentable ", fulmine l'architecte. "
Bruxelles est supposée être la capitale de l'Europe, mais on continue à la penser comme un village. La vie évolue, et avec elle la ville de même que les langages de l'architecture. Les associations de défense du patrimoine s'intéressent essentiellement à l'Art nouveau, et considèrent les bâtiments d'après-guerre comme des erreurs. On peut pourtant défendre le patrimoine sans être passéiste, en admettant qu'il y a différents langages. Certaines tours bruxelloises posent de véritables problèmes, comme la tour des Finances qui n'est pas achevée et tourne le dos au Botanique. La tour Lotto, par contre, est admirablement située et peut être intelligemment réhabilitée. En ce qui concerne la tour Martini, l'idéal aurait été de la réhabiliter en y maintenant la plupart des fonctions, quitte notamment à remplacer le TNB par un théâtre de moindre importance ou par un cinéma. Beaucoup d'autres solutions s'offrent à Bruxelles pour installer du bureau."

Le fantôme de Victor Horta

Ce débat sur l'urbanisme n'a pas eu lieu. "
Nous avons parlé du Théâtre national, d'intérêts financiers et d'un tas d'autres choses, mais certainement pas d'urbanisme ", confirme Jean Demannez. Ce n'est pas faute d'avoir essayé. Afin d'obtenir une discussion sur la tour Martini (et par la même occasion sur la tour du Cadastre), le Sint-Lukasarchief va jusqu'à introduire une demande d'inscription à la liste de sauvegarde, après avoir lancé une pétition et récolté les signatures nécessaires. Comme prévu, le 15 mars, le gouvernement bruxellois rend un avis négatif sur ces tours. Dans son communiqué de presse, le secrétaire d'Etat Willem Draps estime que " la démarche polémique d'utiliser un moyen légal patrimonial contre un projet d'urbanisme manque de correction. "
Pour Johan Winnepenninckx, du Sint-Lukasarchief, ces moyens légaux s'utilisent précisément lorsqu'un immeuble est menacé. En outre, cette association avait dressé dès 1993, à la demande la Région bruxelloise, une liste de bâtiments bruxellois méritant un examen. L'inventaire n'avait entraîné aucune suite, malgré l'apparente lacune en la matière : Bruxelles dispose d'un demi-millier de bâtiments classés, contre 8.000 pour une ville comme Amsterdam. " Les années 50 et 60 sont encore trop récentes pour susciter l'intérêt ", explique Johan Winnepenninckx. " On a déjà vécu la même chose avec l'Art nouveau, qui est aujourd'hui en vogue mais n'intéressait personne dans les années septante, ce qui a permis la destruction de la Maison du peuple de Victor Horta. "
Iwan Strauven, l'un des principaux signataires de la pétition, admet que son intention était polémique: " En vain, nous avons voulu lancer un débat sur l'urbanisme. Les techniciens de l'administration ne sont pas du tout au courant de ce qui se passe aujourd'hui en la matière.
Il est paradoxal d'avoir une ville aussi dynamique et ambitieuse que Bruxelles sans un seul projet de prestige, internationalement reconnu comme tel. Aucun architecte internationalement reconnu n'y mène actuellement un projet. L'approche de la ville est effrayante. Regardez l'ensemble construit en face de la Gare centrale : du faux-vieux, une sorte de néo-flamand totalement stérile, avec un petit parc que personne n'emprunte et que les autorités préfèrent dès lors fermer en soirée. C'est ça, la ville ? Le maintien d'une telle politique urbaine nous amènerait à craindre le pire pour les projets d'extension du parlement européen. "

(1) Cité par la revue bimestrielle "A+" d'avril-mai 2001.